La rémunération des dirigeants d’entreprise a souvent été un sujet d’actualité, mais ce dernier s’est vu encore plus exploité suite à la crise financière mondiale en 2008/2009. Selon les données pour l’année 2016, le revenu moyen des 100 dirigeants les mieux rémunérés au Canada était de 9,5 millions de dollars, ce qui équivaut à un salaire 193 fois supérieur au revenu moyen d’un travailleur canadien (49,510$). La liste intégrale du classement est disponible dans ce rapport publié par le Centre canadien de politiques alternatives.
Les salaires offerts fonctionnent selon un système d’offre et de demande. À première vue, cette disparité salariale peut sembler exagérée, quoique cette situation démontre simplement que les dirigeants compétents avec un historique de valeur ajoutée sont plutôt rares. Plusieurs entreprises à vocation sociale ont tenté de rendre le tout plus équitable et se sont données comme mission de resserrer l’écart des salaires entre les cadres et les travailleurs. Cependant, elles doivent souvent modifier leurs façons de faire, car les meilleurs employés finissent par quitter vers des postes mieux rémunérés chez d’autres firmes compétitrices.
La rémunération des dirigeants dans une entreprise publique est entérinée par le conseil d’administration. Les membres de celle-ci sont sélectionnés par les actionnaires lors des assemblées annuelles. Il est aussi important de savoir que la rémunération des membres de la haute direction ainsi que des membres du conseil d’administration est indiquée dans la circulaire de sollicitation de procuration et avis de convocation à l’assemblée annuelle des actionnaires.
Par exemple, le salaire du Président et chef de la direction de l’entreprise Couche-Tard est disponible à la page 28 de 58 de ce document. Cette rémunération correspond exactement à celle indiquée au classement des dirigeants canadiens cité plus haut dans cet article. Le fait de publiquement afficher le salaire de la haute direction peut être bien vu du côté de la transparence pour les actionnaires, mais ceci peut également gonfler les salaires car les firmes compétitrices peuvent savoir exactement quoi offrir aux dirigeants afin de les courtiser.
Le but de cet article est de décrire la composition de la rémunération offerte aux hauts dirigeants, car cela va beaucoup plus loin que le simple salaire de base. Le boni annuel et la rémunération différée peuvent représenter plus de 90% du revenu d’un dirigeant. Chaque entreprise choisira quels éléments inclure ou exclure du revenu des cadres, mais plusieurs de ces éléments sont généralement offerts :
Salaire de base
La première composante est évidemment celle commune aux salariés canadiens, c’est-à-dire la rémunération de base que le dirigeant reçoit à travers ses talons de paie. La moyenne du salaire de base annuel est autour d’un million de dollars si nous nous fions à la liste des 100 dirigeants canadiens les mieux rémunérés au cours de la dernière année. Le salaire de base se retrouve réduit par de nombreuses déductions obligatoires à la source comme expliqué dans cet article.
Boni annuel de performance/Plan incitatif au rendement
Les dirigeants doivent assurer que l’entreprise atteint ses objectifs de performance, alors il est logique que la majorité de leur rémunération soit liée à leur rendement et à leur capacité de faire croître la compagnie via l’atteinte de certains objectfs prédéterminés. Cependant, un boni annuel basé sur la performance à court terme de l’entreprise peut être un couteau à double tranchant. D’un côté, les analystes financiers se soucient beaucoup des variations quotidiennes du cours de l’action, mais ce focus à court terme se fait au détriment de la vision sur le long terme du dirigeant. Par exemple, un dirigeant pourrait couper dans les dépenses de recherche et développement afin que le bilan paraisse mieux, quoique la constante amélioration de l’entreprise est ce qui fera en sorte d’assurer la prospérité et la viabilité à long terme.
Options d’achats d’actions octroyées aux dirigeants
Le concept des options a été expliqué dans un article précédent. Un système de rémunération basé sur les options d’achat a l’avantage d’aligner l’intérêt du dirigeant avec celui des actionnaires; les actionnaires veulent une augmentation du cours de l’action, alors que les options d’achat ont une valeur pour le dirigeant seulement si l’action dépasse un certain seuil préétabli.
Les options offertes ne peuvent pas être exercées immédiatement, il y a une période d’attente de plusieurs années pour empêcher le gonflement artificiel à court terme du cours de l’action par le dirigeant. Ce délai est appelé la période d’acquisition des droits et sa durée varie selon les entreprises et les ententes (généralement 3 ans). Aussi, les options expirent typiquement après 10 années. Suite à la période d’acquisition des droits, le dirigeant doit décider du moment optimal pour exercer ses options avant qu’elles n’expirent. Si la valeur de l’action augmente rapidement, la rémunération du dirigeant augmente rapidement, tel qu’avec un effet de levier. Cette liberté quant au moment d’exercice est un avantage pour le dirigeant, car il va devoir déclarer le revenu seulement lorsque les options seront exercées. Un gain en capital sera comptabilisé entre la valeur de l’action au moment de l’exercice et le prix d’achat indiqué dans le contrat d’option.
Droits à l’appréciation d’actions (share appreciation rights)
Ces droits sont très semblables au concept des options d’achat d’actions, sauf que seulement la plus-value du cours de l’action est payée aux dirigeants. Supposons qu’un dirigeant reçoit des droits à l’appréciation d’actions lorsque le cours boursier de l’action est de 50$. Si la période d’acquisition des droits est de 3 années, et qu’il décide d’exercer ses droits après ces 3 années lorsque l’action vaut 60$, un paiement de 10$ par action sera fait. Ce revenu sera traité comme un gain en capital imposable à ce moment.
Unités d’actions différées (deferred share units)
L’inconvénient des options d’achat et des droits à l’appréciation d’actions est que les dirigeants ont seulement une récompense lorsque le prix de l’action dépasse un certain seuil avant un certain délai. Ceci représente un grand risque quant à leur planification financière car ce revenu est loin d’être garantie et fluctue même de façon quotidienne. Des recherches confirment que les chefs d’entreprise préféreraient recevoir un montant moindre mais avec un degré de certitude plus élevé quant à son versement. De plus en plus d’entreprises choississent de verser des unités d’actions différées.
Le processus est de prendre le montant qu’un dirigeant devrait recevoir en tant que boni, et acheter des actions avec cette somme. Dans quelques années (habituellement trois années dû à des exigences fiscales), il suffit de verser la valeur des actions au dirigeant ou de transférer les actions elles-mêmes. Si les actions ont chuté en prix, le boni sera plus petit mais au moins il y en aura un, contrairement aux options et aux droits à l’appréciation d’actions qui peuvent ne rien valoir si le prix d’exercice n’est pas atteint. Cette pratique est peut-être plus équitable car le dirigeant et les actionnaires subissent la même perte financière lorsque l’action décroît en valeur.
Les entreprises préfèrent une forme de rémunération différée pour deux raisons. La première est que le boni est versé des années après la fin de l’exercice financier, alors ceci améliore la liquidité à court terme. La firme peut donc investir davantage dans des projets qui créeront de la valeur. Aussi, lorsqu’un dirigeant quitte la firme, il renonce aux unités d’actions différées qu’il a accumulées. Ceci l’incite à rester et représente donc un outil de rétention efficace pour la firme qui désire garder ses compétences et son savoir, à l’interne.
Unités d’actions assujetties à des restrictions (restricted stock units)
Ces unités d’actions sont semblables aux unités d’actions différées, sauf pour la durée de temps avant l’expiration qui est beaucoup plus longue. Alors que les unités d’actions différées sont versés généralement trois années après avoir été créées, les unités d’actions assujetties à des restrictions ont une durée qui peut souvent s’étendre jusqu’à la retraite du cadre en question. Ceci encourage davantage la rétention des employés clés.
Régime d’actions fictives (phantom stock units)
Ce régime offre au dirigeant un certain nombre d’actions fictives qu’il doit détenir pendant au moins la période d’acquisition des droits. Un versement en argent comptant est ensuite fait, à la période choisie, qui représentera la valeur des actions reçus précédemment. Ceci ressemble au droits à l’appréciation d’actions, sauf que la valeur des actions en entier est payée et non seulement la plus-value relativement à la date d’émission.
Unités d’actions récompensant le rendement (performance share units)
Ces unités d’actions sont offerts par la firme au dirigeant seulement lorsque certaines mesures de performances sont atteintes, telles qu’un certain seuil de bénéfices par action ou un certain pourcentage de croissance annuelle des ventes. L’atteinte de ces objectifs pourrait aussi se faire à plus long terme.
Primes à espèces différées (performance appreciation rights)
Boni que le dirigeant recevra dans le futur et qui sera basé sur plusieurs ratios ou mesures de performance, et non seulement le prix de l’action. Des exemples de mesures de performance peuvent être l’augmentation du revenu, compétitivité améliorée face aux autres joueurs dans le marché, amélioration du ratio cash flow/revenu etc.
Ententes d’indemnisation en cas de changement de contrôle (change in control agreements)
Dans le cas où une firme s’apprête à fusionner ou à se faire acquérir, il est très commun de voir des ententes d’indemnisation se créer avec les dirigeants actuels. Lors d’une fusion, si les services du dirigeant ne sont plus nécessaires, il recevra en contrepartie un certain montant en guise de compensation. Cette pratique est offerte par les entreprises aux cadres pour éviter qu’ils ne quittent la firme lorsque les rumeurs de fusion/acquisition débutent. Peu importe si leurs services seront requis lorsque tout sera finalisé, ils peuvent au moins être assurés de recevoir un certain revenu.
Assurance-vie
Plusieurs entreprises offrent une assurance-vie et une couverture des soins de santé aux dirigeants qui continuera même lors de sa retraite.
Autres avantages possibles
Plusieurs autres services pourraient être offerts tels l’accès à une voiture, un chauffeur privé, ou un abonnement dans un centre de conditionnement physique pour ne citer que quelques exemples.
Conclusion
Chaque conseil d’administration et entreprise ont le devoir d’adapter la rémunération offerte de façon à trouver un équilibre entre la motivation du personnel, l’environnement compétitif des salaires offerts sur les marchés et les attentes des actionnaires. Pour le dirigeant, une rémunération à base majoritairement d’options et d’actions pourraient rendre la valeur de son patrimoine trop dépendante de la performance financière de la firme. Ceci s’appelle le risque de concentration et peut être réduit en diversifiant ses avoirs. Des firmes de consultation se spécialisant dans la rémunération des dirigeants tentent sans cesse d’innover dans le domaine en proposant des nouvelles idées alors il serait intéressant d’analyser l’évolution de cette question dans le temps.
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